Introduction
Chaque jour, des millions d’Africains utilisent des services numériques : mobile money, plateformes éducatives ou encore réseaux sociaux. Ces usages transforment nos vies à grande vitesse. Mais une question fondamentale reste absente du débat public : que deviennent toutes ces données ? Qui les exploite, à quelles fins, et selon quelles règles ? C’est là qu’intervient l’éthique des données.
Qu’est-ce que l’éthique des données ?
L’éthique des données désigne l’ensemble des principes qui encadrent la manière dont les données sont collectées, stockées, utilisées et partagées. Elle regroupe des notions essentielles :
- le respect de la vie privée,
- le consentement,
- l’équité et la non-discrimination,
- la transparence des usages.
En d’autres termes, l’éthique des données ne se limite pas à une question technique ou juridique. C’est avant tout une question de justice et de respect des individus.
Quand les données deviennent un outil d’exclusion
Sans cadre éthique, les données peuvent se transformer en instruments d’injustice.
Prenons l’exemple du secteur de la santé. Les données médicales d’un patient, peuvent servir à lui imposer des primes très élevées au regard de son historique. Dans ce cas, ces données qui devraient être un levier pour améliorer la recherche médicale ou autre, deviennent un outil d’exclusion.
Cette réalité n’est pas théorique : elle existe déjà ailleurs, et rien ne garantit qu’elle existe pas déjà en Afrique.
L’exemple du mobile money : un usage massif, une conscience absente
Le cas du mobile money illustre une autre dimension du problème.
Aujourd’hui, des millions de transactions financières sont effectuées chaque jour via les opérateurs de téléphonie. C’est une véritable révolution qui a permis l'inclusion financière. Mais qui s’interroge sur ce qu’il advient de toutes ces données de transactions ?
Qui contrôle leur stockage ? Qui a le droit de les analyser ? Et surtout, pour quelles finalités ?
La grande majorité des utilisateurs ne se pose pas ces questions. Les données circulent, s’accumulent, et sont parfois exploitées hors du continent. Derrière ce silence, un risque majeur : que l’Afrique perde le contrôle d’une ressource stratégique aussi essentielle que ses matières premières.
L’éthique comme condition de souveraineté numérique
Il serait tentant de croire que l’éthique est un luxe réservé aux pays riches. Mais c’est l’inverse : sans éthique, pas de confiance, et sans confiance, pas de développement durable du numérique.
En Afrique, la question ne se pose même pas encore en termes de “perte de confiance” : la plupart des citoyens n’ont pas conscience des enjeux. C’est pourquoi la première étape doit être la sensibilisation.
L’éthique des données ne doit pas être vue comme un frein à l’innovation. Au contraire, elle est la condition pour bâtir un écosystème numérique solide, respectueux des individus et au service du développement.
Un cadre juridique encore inégal en Afrique
Faut-il en conclure qu’il n’existe rien sur le continent ? Pas tout à fait.
Ces dernières années, plusieurs pays africains ont adopté des lois nationales sur la protection des données – Nigeria, Botswana, Cameroun, Kenya, Afrique du Sud, entre autres. Au total, 36 pays sur 55 disposent aujourd’hui d’une législation spécifique.
À l’échelle continentale, l’Union africaine a adopté en 2014 la Convention de Malabo, qui propose un cadre pour la cybersécurité et la protection des données. Mais à ce jour, seule une quinzaine de pays l’ont ratifiée. Des initiatives régionales comme l’Acte additionnel de la CEDEAO ou la loi type de la SADC vont dans le même sens, mais leur application reste encore limitée.
En résumé : les textes existent, mais la mise en œuvre est inégale, et la sensibilisation citoyenne quasi inexistante. L’éthique des données n’a pas encore trouvé sa place dans le débat public africain, alors même qu’elle conditionne notre souveraineté numérique.
Conclusion – De l’inconscience à la responsabilité
L’Afrique vit une révolution numérique sans précédent. Mais si nous continuons à ignorer l’éthique, nous risquons de substituer une dépendance à une autre : après les matières premières, ce seront nos données qui alimenteront les puissances étrangères.
La première étape est donc de prendre conscience. Comprendre que les données ne sont pas neutres, qu’elles ont une valeur stratégique, et que leur usage doit être guidé par des principes clairs.
La question n’est pas de savoir si l’Afrique utilisera massivement les données, mais comment elle choisira de les utiliser : comme un levier d’émancipation, ou comme un nouvel outil de dépendance.